La rue d’Étape porte bien son nom. Une étape comme un moment particulier, inattendu, une curiosité. L’atelier de l’encadreur d’art Patrick Lonza est tout au fond de la petite cour derrière. Pour y accéder il faut traverser la grande salle de séjour où règne une atmosphère particulière, comme un cabinet de curiosités géant. Y coexistent les tableaux abstraits encadrés dans de la marqueterie de métal, Picasso dans un coquillage de bois, des objets chimériques à base de loupes derrière lesquels des insectes prennent des formes aléatoires, des câbles électriques enlacés comme des vaisseaux sanguins qui irrigueraient un cerveau corail, des masques africains montés sur des socles épurés et géométriques, ou encore cette bibliothèque qui s’étale de tout son long laqué blanc, orné de-ci de-là de petite touches plastiques colorées saturées, rouge, vert, bleu… Et des livres dedans, plein de livres comme une histoire condensée au sein de ce mobilier original. Le tout sur fond de Léonard Cohen.

Atelier Patrick Lonza

Ça sent le vernis, ça sent, le bois, ça sent la colle, ça sent le vertige. Ce vertige qu’on ressent quand on doit faire mais qu’on ne sait pas encore comment on va le faire même si le savoir-faire acquis permet d’entrevoir quelques certitudes.

« J’ai collecté des strates de connaissances qui fait qu’aujourd’hui je crois que je peux dire que j’ai ma patte ».

Patrick Lonza a les yeux d’un enfant. Ce petit enfant du film « Le ballon rouge » de Lamorisse que l’encadreur aime à citer. Un enfant qui aperçoit un gros ballon rouge et qui décide de le suivre partout. Du rêve, mais aussi une confiance dans la vie, dans le chemin qui se trace au jour le jour, le destin ?

Quand petit il était malade, sa mère lui donnait une paire de ciseaux et du carton, et il fabriquait des jouets, il encadrait ses propres dessins. Déjà ce désir de créer et de mettre en valeur son travail. Ce que Patrick aime c’est travailler la matière, lui donner une forme originale, chercher la différence.

« J’avais besoin de les dompter »

Oui, les dompter. Comme un animal, comme un félin dans le cirque qu’il affectionne tant. Maitriser la bête, le métal, le bois, les souder, les abraser, faire des moulages, appliquer les résines.

« Mon métier est au carrefour de plein d’autres ».

A force d’essayer le matériau toujours plus loin, toujours plus profond, le savoir-faire en est devenu aigu, quoique toujours instinctif. Il suffit de le regarder travailler pour le comprendre. Le combat s’engage aussitôt avec la matière: ça frappe, ça frotte, ça applique, ça casse, ça lie ! Un univers de tout mais pas tout à fait n’importe quoi, d’où naîtra un cadre éclatant, un socle glorifiant, parfait, unique, de l’art en soi mais au service d’un autre.

Et c’est ça que la clientèle de Patrick Lonza vient chercher ici dans ce petit atelier à Joigny. De l’incongru, du surprenant, mais du noble. Les musées font appel à lui, Picasso, Géricault, Matisse, Delacroix, Dali et tant d’autres sont passés entre ses mains, mais se sont surtout des décorateurs, des collectionneurs, et les particuliers en quête d’émotion qui font appel à lui. Il travaille notamment avec deux maisons prestigieuses dans le domaine du cadre et le socle, « Frame and design » et « Les cadres Gault » à Paris, pour lesquels il fabrique des pièces uniques.

« Les matériaux que j’utilise ne sont pas luxueux en soi ».

Le bronze, le bois, la résine, le plastique, il n’utilise que des matériaux très simples à la base, mais pour en faire du « noble ».

« Ce que je fais c’est de la haute couture »

Du sur-mesure. Si les prix sont relativement élevés c’est à cause du temps et de la valeur ajoutée, ce savoir-faire si spécifique qu’est le sien.

« Mais je fais aussi du prêt à porter ».

On peut faire quelque chose de tout aussi beau avec moins de moyens. Mais l’approche est la même au niveau de l’éthique.

« Le luxe n’est pas une question d’argent »

Le luxe c’est l’écoute. Le temps passé à élaborer, d’abord avec le client, puis seul dans sa tête, dans son atelier, l’objet. Et peu importe le tableau à encadrer, ou l’objet à socler. A partir du moment où il les moyens d’être créatif, il saura le mettre en scène. Un tableau ou un objet qu’il n’aime pas ?

« Mes goûts personnels n’ont rien à voir là-dedans »

Ce serait même un challenge. Sublimer quelque chose qu’on aime à priori pas, pour finalement l’aimer par la mise en scène. Le meilleur moyen de le faire aimer à la plupart.

« L’art m’est indispensable, je ne pourrai pas vivre sans ».

Le luxe c’est aussi ça. Au-delà de l’objet et du savoir-faire d’exception, c’est aussi de pouvoir créer avec l’énergie de l’enfant qui joue, dans le cadre idyllique d’une petite ville coincée entre les vignes et l’Yonne. Je quitte ce cabinet de curiosités à taille humaine pour revenir à la réalité, et je me dis qu’on devrait tous avoir un ballon rouge à suivre.